... A perdu tout rivage et ne voit que les ondes
S'élever et crouler comme deux sombres murs...
[Lamartine]
Elle dérivait. Depuis tellement de temps qu'elle aurait été incapable de dire si elle espérait encore quelque chose. Il aurait suffi qu'elle lâche le tonnelet auquel elle s'était accrochée et se laisse glisser dans les flots. Le balancement des vagues lui faisait tourner la tête, sa gorge la brûlait, tout comme ses yeux et ses lèvres. Ses bras, ses épaules crispées criaient grâce mais elle avait encore assez de volonté pour rester agrippée à sa bouée improvisée. Tenir. Un tout petit peu plus longtemps, quelques secondes de plus... elle ne pouvait se résoudre à abandonner. Son instinct de survie demeurait encore trop vif malgré l'épuisement qui la gagnait peu à peu.
Au début, Eirlys s'était dit que le plus important, c'était de conserver sa liberté. Qu'arrivée sur les îles il serait trop tard. Que rien ne prouvait que Maura ou son père sauraient soulever les armées pour venir la chercher. De toute manière, souhaitait-elle réellement engager la vie de centaines d'hommes pour sauver la sienne ? Les fer-nés seraient-ils seulement défaits. Après tout, ils écumaient les ports depuis longtemps à présent. Non, le plus simple était de quitter ce navire au plus tôt et de prendre le large. Après... si les dieux avaient un peu pitié d'elle, elle s'en sortirait. Elle avait étudié la géographie, pas la navigation, mais il fallait espérer que les courants la ramènent vers la terre ferme. Celle des îles ou du continent, le sort en déciderait, car elle n'avait plus notion du temps passé en mer lorsque sa main rencontra le tonnelet.
Il était vide, elle l'avait soulevé. Soupesé, elle avait estimé qu'il pourrait flotter sans mal. Après, elle n'avait pas davantage réfléchi et avait sauté. Si elle avait commencé à trop y réfléchir, elle aurait fini par rester paralysée par la peur qui la rongeait déjà suffisamment. Alors, elle s'était jetée par-dessus le bastingage, le tonnelet serré dans les bras.
Le choc avait été violent et manqua lui faire lâcher sa précieuse bouée. Ne sachant pas nager, sans elle, c'était la noyade assurée. L'eau était glaciale et lui donna un coup de fouet, Eirlys battit des pieds un moment, jusqu'à ce que le ressac couvre les voix des marins. Alors il ne resta plus que le bruit des vagues.
Le coeur battant, la jeune femme guetta les cris des mouettes, d'abord. La preuve que la terre ferme n'était pas loin. Mais elle n'entendait rien de plus que toute cette eau qui bougeait autour d'elle et lui donnait la nausée. Les secondes passèrent, puis les minutes, les heures... comment savoir ?
Puis elle cessa d'écouter et se contenta de se laisser porter, mettant le peu de force qu'il lui restait dans la volonté de continuer à s'accrocher au tonnelet qui l'emportait les dieux seuls savaient où.